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Mieux comprendre la mémoire traumatique


Les impacts des violences sont d’autant plus importants que leurs conséquences psycho-traumatiques ne sont pas identifiées, et même souvent que les violences elles-mêmes ne sont pas reconnues.

Quand on ne reconnaît pas ni n’identifie les violences comme telles, il est impossible de protéger les victimes. L’absence de reconnaissance des violences comme telles et l’absence de protection des victimes aggravent les troubles qui ont des conséquences sur des dizaines d’années, voire toute la vie.

Les conséquences psycho-traumatiques ont un impact négatif sur la santé physique, mentale et intellectuelle (amincissement corticaux jusqu’à 30%, atteinte de la mémoire, diminution de l’espérance de vie…) mais elles peuvent être soignées.

Les violences s’inscrivent toujours dans un rapport de force et de domination. Les situations d’inégalité sont le terreau de la violence (femmes/ hommes, enfants/ adultes, handicapés/ valides en particulier).

Le premier facteur pour être victime de violences est d’en avoir déjà subies. Or, à titre d’exemple, 21% des violences sexuelles avaient démarré avant 6 ans chez les femmes.

Il y a un vrai problème de déni de la violence et il est nécessaire de s’occuper de ce qui arrive aux plus jeunes.

Les conséquences psycho traumatiques des violences

Les conséquences sont liées à des mécanismes de survie neurobiologiques. Ces mécanismes sauvent la personne des violences qui pourraient la tuer.

En effet, on peut mourir d’un stress extrême donc le cerveau, pour assurer la survie de l’organisme, met en place des mécanismes hors normes.

Cependant, ces mécanismes ont un coût élevé parce qu’ils entraînent la mise en place de la mémoire traumatique. La mémoire traumatique se présente comme des réminiscences de la violence revécue à l’identique comme une machine à remonter le temps infernale.

Quand la mémoire traumatique s’allume, la personne est de nouveau envahie par la terreur, le stress, la douleur liées à l’état de mort imminente vécue alors.

La mémoire traumatique s’accompagne d’un phénomène de dissociation traumatique. La plupart des conséquences psycho traumatiques qui sont justement des preuves des violences subies sont mal interprétées du fait de cette dissociation. Cela s’explique par le fait que la dissociation se traduit notamment par une absence de protestation contre les violences (souvent interprétées de l’extérieur comme un consentement et utilisée comme une manière de dire que la victime aurait du se défendre plus).

Les troubles psychotraumatiques mal connus alimentent le cercle vicieux de la violence.

Puisqu’on ne comprend pas les symptômes psychotraumatiques, on en vient à renverser la culpabilité : c’est la victime qui “cherche” (c’est la femme qui provoque les violences sexuelles en s’habillant de manière provocante, c’est l’enfant qui provoque les adultes en désobéissant, c’est la jeune fille mineure qui minaude et séduit l’homme majeur…).

Un système d’alarme émotionnel s’active en cas de danger

En situation de danger, tous les êtres humains ont un système d’alarme archaïque dans le cerveau.

L’amygdale, centre des émotions dans le cerveau, sécrète de l’adrénaline et du cortisol dans le cerveau pour préparer l’organisme à affronter le danger (fuite ou attaque si la fuite est impossible). L’allumage de l’amygdale est immédiate et inconsciente.

Ce n’est que dans un deuxième temps que la partie “pensante” du cerveau (le cortex pré frontal) est activé pour éteindre l’amygdale, en parallèle avec l’hippocampe (le centre de mémorisation des événements pour leur attribuer une valeur et permettre une analyse plus fine dans le futur).

L’activation du cortex pré frontal et de l’hippocampe permettent de contrôler la réponse émotionnelle de l’amygdale : comprendre ce qui se passe et trouver des solutions adaptées.

On peut résumer le système normal d’alarme émotionnel face au danger ainsi :

  • 1er temps -> amygdale ultra réactive pour préparer à la fuite ou, si impossibilité de fuite, à l’attaque,

  • 2ème temps -> amygdale contrôlée par le cerveau supérieur,

  • 3ème temps -> enregistrement du souvenir dans la mémoire consciente via l’hippocampe (ce qui permet par exemple d’associer le bruit du tonnerre à l’orage et non pas de sentir sa vie menacée à chaque orage à cause d’un bruit inconnu).

Le système normal dysfonctionne en situation de violence

En situation de violence, le système normal dysfonctionne.

Face à une violence inconcevable et hors norme qui met la vie en danger (attentats, viol, châtiments corporels sur enfant…), l’organisme déclenche un système d’alarme total.

L’amygdale s’allume et sécrète des hormones de stress mais la partie supérieure du cerveau et l’hippocampe ne suivent pas (les deuxième et troisième temps du processus normal sont inhibés) : c’est la sidération traumatique et la victime est paralysée.

Ce sont en effet les émotions qui nous font réagir. Ce sont bien le dégoût, la colère, la peur qui nous font dire non. Or quand les émotions sont anesthésiées (comme c’est le cas avec la sidération), la révolte, la fuite, la défense sont impossibles.

La sidération à l’origine des mécanismes psycho traumatiques

Cette sidération est à l’origine de toute la cascade de mécanismes psycho traumatiques :

  • comme l’amygdale ne reçoit ni réponse ni contrôle de la part du cerveau supérieur, elle ne s’éteint pas et continue à sécréter des hormones de stress,

  • les taux d’hormones de stress finissent par être si élevés dans l’organisme qu’elles représentent un danger pour le fonctionnement des organes vitaux (c’est pour cette raison qu’on peut faire un arrêt cardiaque lié au stress),

  • le seul moyen qu’a le cerveau de s’en sortir est d’isoler l’amygdale (l’amygdale reste allumée mais son isolement fait cesser la sécrétion des hormones de stress),

  • cet isolement de l’amygdale génère de la dissociation (impression d’être spectateur de la scène, quasi indifférence à ce qui arrive, sentiment d’irréalité lié à l’anesthésie émotionnelle),

  • la dissociation traumatique va durer tant que le danger perdure donc l’amygdale reste allumée tant qu’il y a contact avec la personne à l’origine des violences (cela peut être quotidien dans le cas des violences intra familiales, comme la violence éducative et conjugale).

Cela signifie que tant que l’amygdale reste allumée, le corps continue à l’isoler pour éviter la surproduction mortelle d’hormones de stress, installant la dissociation traumatique à long terme.

La dissociation, une anesthésie émotionnelle

Ce n’est pas la victime qui décide de se dissocier : c’est le cerveau qui met en place un mécanisme pour assurer la survie de l’organisme.

La dissociation est une machine à effacer les souvenirs (puisque l’hippocampe est disqualifié et ne peut donc pas enregistrer l’événement de manière consciente en lui attribuant une teinte émotionnelle). Les victimes ont alors du mal à raconter les événements avec exactitude.

Par ailleurs, plus une victime est dissociée, plus elle est sous emprise de son agresseur, les émotions ne jouant plus leur rôle de messagère sur la nocivité du comportement de l’autre.

Quand on est face à quelqu’un qui est dissocié, on ne peut pas lire ses émotions (puisque son amygdale est isolée, la personne ne peut pas ressentir d’émotions). En conséquence, il est difficile de faire preuve d’empathie envers une personne dissociée. Il est fréquent que des personnes dissociées soient considérées comme froides, peu sociables, voire carrément handicapées mentales. Il arrive que même des professionnels, peu formés aux symptômes psycho-traumatiques, n’arrivent pas à avoir l’assise intellectuelle nécessaire pour comprendre ce qui se passe réellement chez la personne dissociée.

Le problème est que la dissociation cache les impacts très graves des violences parce qu’elle annihile la possibilité de s’opposer et de se révolter aux violences (physiques et/ou psychologiques). Ne pas savoir dire non peut être un symptôme de dissociation. Cela n’est pas lié à une impossibilité de dire non mais à une privation des moyens de dire non (via l’impossibilité d’éprouver des émotions) à cause de la dissociation en lien avec l’isolement de l’amygdale.

Une personne dissociée a donc plus de risques d’être à nouveau victime de violence puisqu’elle peut être réduite en esclavage sans protester.

De plus, elle risque de ne pas aller consulter pour des maladies physiques étant donné qu’elle ne ressent pas ou mal ses sensations corporelles et ses émotions.

Une disjonction de l’intégration des violences subies dans la mémoire

En cas de violence, les événements vécus restent bloqués au niveau de l’amygdale et ne sont pas intégrés par l’hippocampe pour devenir de la mémoire autobiographique consciente.

Tous les événements bloqués dans l’amygdale sont à l’origine de la mémoire traumatique. Comme l’amygdale est devenue hypersensible, elle s’allume au moindre lien qui rappellent les violences (bruits, sensations, caresses…). La victime revit alors la situation avec la même intensité et la même détresse.

En temps normal, par exemple une fracture, on se souvient que cela a été douloureux mais on ne ressent pas la douleur quand on y repense (parce que l’hippocampe a fait son travail de mémoire autobiographique consciente). Avec la mémoire traumatique, la personne ressent la douleur comme si elle était présente, avec une sensation de mort imminente.

La mémoire traumatique est une torture et ce d’autant plus qu’elle est indifférenciée : comme les souvenirs n’ont pas été traités par l’hippocampe, il n’y a pas de repérage temporel ou spatial. Quand elle s’allume, la mémoire traumatique s’allume avec tout ce qui a été ressenti, dit, fait, y compris les faits et gestes des agresseurs.

C’est la raison pour laquelle les victimes sont hantées et colonisées par les mises en scène des agresseurs (la victime peut ainsi être colonisée par la haine de son agresseur). Les pensées des victimes sont également contaminées par les paroles des agresseurs (“tu ne vaux rien”, “c’est de ta faute”, “tu es inhumaine”, “c’est tout ce que tu mérites”, “tu l’as bien cherché”…). Les personnes victimes de violence et non soignées ont une estime de soi très faible en raison de cette petite voix qui les harcèle en permanence.

Des stratégies de défense pour échapper à la mémoire traumatique

L’évitement est la meilleure stratégie en l’absence de soin.

La victime n’a pas d’autre choix que d’élaborer des stratégies pour échapper à sa mémoire traumatique à travers des conduites d’évitement. L’évitement est la meilleure stratégie en absence de soin parce que le terrain miné que représente la mémoire traumatique peut exploser à tout moment.

Cela passe par le fait de contrôler, de s’isoler, de consommer des produits dissociants (alcool, cigarettes, drogue, médicaments…), d’adopter des conduites dissociantes (scarifications, brûlures, passages à l’acte violents pour soulager…) : tout ce qui permet que ça disjoncte avant que la mémoire traumatique envahisse les victimes.

Se scarifier, ce n’est rien par rapport à revivre un viol. Secouer son propre bébé qui pleure évite de ressentir la peur de l’abandon réveillée par ces pleurs.

Quand on ne protège pas les victimes, elles sont dissociées en permanence; quand elles sont protégées (ou qu’elles sont sûres de ne pas recroiser leur agresseur), elles sont colonisées par leur mémoire traumatique qui se manifeste sous forme de crises de panique, de stress aiguës et incontrôlables et qu’il faut éteindre par diverses stratégies.

Paradoxalement, les victimes sont beaucoup plus mal quand elles sont protégées parce que la mémoire traumatique peut être ressentie (alors qu’avant, ces personnes étaient dissociées et donc anesthésiées). Il arrive que des victimes retournent alors vers leurs agresseurs parce que la dissociation est moins douloureuse que les crises de panique en lien avec la mémoire traumatique. D’où l’importance d’un suivi thérapeutique pour apaiser la mémoire traumatique et intégrer les souvenirs dans l’hippocampe.

Le soin thérapeutique

Le soin consiste à intégrer la mémoire traumatique en mémoire autobiographique à l’aide d’un thérapeute.

Cela consiste à aller chercher tout ce qui s’est produit, à mettre des mots dessus, à organiser les événements de manière chronologique et à décoller ce qui appartient à l’agresseur (la petite voix qui colonise) de ce qui appartient à la victime.

L’objectif est que la personne arrive à se dire que ce qu’elle ressent est en lien avec le passé afin de gagner en pouvoir sur ses réactions personnelles en redonnant à l’hippocampe son rôle de modulateur par rapport à la réponse émotionnelle.

Le rôle du thérapeute est celui d’un cortex préfrontal et d’hippocampe “de secours” en mettant du sens et du lien dans ce que les victime vivent.

Source : Dr. Muriel Salmona: La mémoire traumatique, comment la reconnaître.

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